Victoire d’étape : suspension de la dérogation « Espèces protégées » accordée au projet de nouveau Stade Brestois

1-0 pour la biodiversité : le Tribunal administratif de Rennes a suspendu, par ordonnance du 22 octobre 2025, l'exécution de la dérogation « Espèces protégées » accordée pour le projet de nouveau stade du club brestois. 

Cette décision, qui suspend les travaux anticipés menés sur site avant même qu’un permis de construire soit délivré, illustre la rigueur avec laquelle le juge des référés doit examiner les conditions cumulatives d'octroi d’une telle dérogation censée demeurer très exceptionnelle.

Le contexte : un projet de 18 hectares sur un habitat bocager abritant 36 espèces protégées

Djanira, Futebol Fla Flu, 1975, MNBA.

Le projet Arkéa Park vise à remplacer le stade Francis Le Blé, situé en centre-ville de Brest, par un nouveau complexe sportif de 13 000 à 15 000 places qui s’implanterait à Guipavas, sur un site de 18 hectares comprenant friches, haies bocagères, boisements et bâtiments agricoles abandonnés.

Le secteur, riche en biodiversité, abrite des habitats favorables à de nombreuses espèces protégées. On y retrouve un précieux cortège emblématique des bocages bretons : le Grand Rhinolophe (seule chauve-souris classée « En Danger » en Bretagne), plusieurs espèces de pipistrelles, l'Hirondelle rustique et divers rapaces nocturnes. 

Face à cette situation, le préfet du Finistère a pris le pari de délivrer, le 23 juin 2025, une dérogation autorisant la destruction ou perturbation intentionnelle de quatre espèces de mammifères, sept espèces de chiroptères et vingt-huit espèces d'oiseaux, ainsi que de leurs habitats associés.

Une urgence caractérisée par le démarrage des travaux

L'urgence à suspendre cette dérogation a été rapidement établie par le démarrage de travaux de démolition des bâtiments de Maner Kozh, autorisés non par le permis de construire (qui n'était pas encore délivré), mais par un arrêté de mise en sécurité pris par le maire de Guipavas le 25 août 2025, soit quatre jours après la réception en préfecture du recours gracieux formé par les associations requérantes.

La métropole de Brest a tenté de contester l'urgence en soutenant que ces travaux seraient décorrélés du projet de stade. Une argumentation rapidement écartée par le juge des référés, qui a retenu que les travaux entrepris entraient bien dans le champ de la dérogation « espèces protégées » dès lors qu’ils en intégraient le périmètre.

Restait alors à déterminer si, sur le fond, l’octroi de la dérogation pour un tel projet était de nature à caractériser un « doute sérieux », condition sine qua non permettant au juge des référés de prononcer la suspension des travaux dans l’attente du jugement au fond.

Le cadre juridique : les trois conditions cumulatives de l'article L. 411-2 du Code de l'environnement

L'article L. 411-2 du Code de l'environnement soumet l'octroi d'une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées à trois conditions distinctes et cumulatives :

  1. L'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur (souvent abrégée « RIIPM ») ;

  2. L'absence de solution alternative satisfaisante ;

  3. Le maintien des espèces dans un état de conservation favorable.

Comme l'a en effet rappelé le Conseil d'État dans un arrêt de principe du 25 mai 2018 (n° 413267), « un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s'inscrit, à une raison impérative d'intérêt public majeur. En présence d'un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. » 

En l'espèce, c'est sur la première de ces conditions que le juge des référés a fondé son raisonnement pour suspendre l'exécution de l'arrêté préfectoral.

L'absence de certitude sur la satisfaction d’une « RIIPM »

Le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a considéré que le moyen tiré de l'absence de raison impérative d'intérêt public majeur créait un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté préfectoral.

Il s’agissait du débat principal induit par la décision du préfet qui, dans sa motivation, ne mentionnait aucun élément expliquant en quoi et dans quelle mesure le projet de stade satisfaisait à ce critère pourtant fondamental. 

L’ordonnance retient alors qu’« en l'absence notamment de données avérées et précisément chiffrées sur l'apport économique effectif du projet au bassin d'emploi dans lequel il s'inscrit et de justifications suffisantes de l'objectif de participation à des politiques publiques, concernant notamment le sport adapté, dont ni l'arrêté préfectoral contesté, ni le dossier de demande de dérogation, ne font état. »

Cette motivation est particulièrement instructive et mérite d'être décryptée.

1. L'intérêt sportif desservi par le stade ne suffit pas à caractériser une « RIIPM »

Sans exclure l’idée que l’intérêt sportif puisse théoriquement intégrer le champ de la « RIIPM », en l’occurrence, il a été considéré que le projet de stade ne démontrait pas en quoi ses vertus étaient suffisantes pour obtenir la caractérisation demandée. En particulier, le fait que le projet réponde aux besoins d'un club de football de Ligue 1 ou qu'il soit inscrit sur la liste des enceintes sportives d'intérêt général en application de l'article 28 de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 ne caractérise pas, à lui seul, une « RIIPM » au sens de l'article L. 411-2 du Code de l'environnement.

La jurisprudence est constante sur ce point.

Ainsi, quelques mois auparavant, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble avait déjà pu refuser de reconnaître une RIIPM au projet de retenue collinaire de La Clusaz, en relevant que la justification fondée principalement sur l'attractivité économique et touristique ne suffisait pas (TA Grenoble, ordonnance du 23 juillet 2025, n° 2402837).

De même, la cour administrative d'appel de Lyon a pu censurer l'aménagement d'un bassin d'aviron en relevant que la justification invoquée ne pouvait être regardée comme constituant une RIIPM (CAA Lyon, 1er mars 2018, n° 16LY00535).

Plus récemment encore, la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé l'annulation d'une dérogation pour la base de loisirs du lac de Castelgaillard, jugeant que même la création d'emplois permanents ne permettait pas de caractériser une RIIPM (CAA Bordeaux, 6 décembre 2022, n° 20BX02193).

À l'inverse, le tribunal administratif de Nice a reconnu une RIIPM à un projet sportif, mais celui-ci s'inscrivait dans une configuration spécifique : il s'agissait d'un projet mixte incluant une résidence de tourisme et des logements locatifs sociaux, répondant explicitement à des politiques de santé publique portées au niveau local et national (TA Nice, 1er février 2024, n° 2003377).

2. Les retombées économiques doivent être avérées et précisément chiffrées

Le juge des référés insiste sur l'absence de « données avérées et précisément chiffrées » s'agissant de l'apport économique du projet.

Et pour cause, les données avancées n'étaient étayés par aucune étude sérieuse versée aux débats susceptible de justifier de la pertinence des prévisions en termes d’emplois créés, de leur méthodologie d'élaboration ou de leur degré de fiabilité.

À cet égard, le raisonnement du juge rejoint celui du Conseil d'État dans sa jurisprudence Val Tolosa (CE, du 24 juillet 2019, SAS PCE, n° 414353) dans lequel la Haute juridiction a jugé que, malgré la création de plus de 1 500 emplois, la construction d'un centre commercial et de loisirs (projet Val Tolosa) ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur dès lors que le territoire concerné n'était pas confronté à des difficultés ou des déséquilibres particuliers en la matière.

Les suites de la procédure

Les travaux sont désormais suspendus jusqu'au jugement au fond, qui permettra au tribunal de statuer de manière définitive sur la légalité de la dérogation accordée.

Le débat questionnera, outre la « RIIPM », le deuxième critère d’obtention de la dérogation « Espèces protégées » qu’est celui de l’absence de solutions alternatives d’implantation, une problématique en plein essor qui connaît elle aussi son lot de complexité.







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