Parc éolien et “hotspot” ornithologique : refus validé
Référence de la décision : CAA Bordeaux, 12 novembre 2025, Parc éolien de Louin, 23BX02196
La cour administrative d'appel de Bordeaux confirme le refus d'autorisation environnementale opposé par la préfète des Deux-Sèvres à un projet éolien situé à proximité immédiate du Lac de Cébron, sanctuaire ornithologique majeur du département. Cette décision, obtenue grâce à l'intervention volontaire de deux communes et une association touchées par les incidences du projet, illustre l'importance stratégique de cet outil juridique souvent négligé.
En juin 2023, la préfète des Deux-Sèvres refusait de délivrer une autorisation environnementale à la société Parc éolien de Louin pour un projet de quatre aérogénérateurs sur la commune de Louin. Le motif : la proximité dangereusement rapprochée avec le Lac de Cébron, étendue d’eau artificielle qui constitue l’un des sites ornithologiques les plus sensibles de la région.
L'histoire aurait pu s'arrêter là. Néanmoins, le promoteur éconduit a entendu déposer un recours devant la cour administrative d'appel de Bordeaux en vue d’obtenir l’annulation de la décision de l’État. En soi, l'arrêté préfectoral présentait en effet une faiblesse : si sa motivation était claire sur les enjeux ornithologiques en présence, elle restait peu détaillée sur les raisons précises rendant la séquence Éviter-Réduire-Compenser (ERC) insuffisante.
Deux communes et une association, par l’intermédiaire de notre cabinet, ont donc souhaiter “s’inviter” dans la procédure en vue de défendre la légalité de l’arrêté du préfet. Ce qui s’est avéré non seulement possible, mais en plus salutaire.
L'intervention volontaire : un outil juridique méconnu mais décisif
C'est ici qu'intervient un mécanisme juridique souvent négligé : l'intervention volontaire.
Cette voie de droit permet à toute personne justifiant d'un intérêt suffisant de rejoindre une instance en cours pour soutenir les conclusions de l'une des parties. Par exemple, une commune dont le territoire est concerné par un projet d'installation classée (ce qui est le cas des éoliennes, mais aussi des carrières, méthaniseurs, etc.) peut ainsi entrer dans la procédure pour défendre la décision administrative contestée.
Concrètement, l'intervenant dépose un mémoire distinct exposant ses propres arguments juridiques. Ces arguments viennent ainsi enrichir le débat contradictoire et permettent au juge de disposer d'une vision plus complète des enjeux. L'intervention volontaire permet ainsi de renforcer la position de refus, voire en pallier les faiblesses.
La démonstration des carences de la séquence ERC
Dans le dossier du Lac de Cébron, notre intervention a permis de revenir sur la gravité des enjeux en présence, ainsi que sur le manque de pertinence de la séquence ERC proposée par la société éolienne.
Le Lac de Cébron constitue un site d'importance exceptionnelle pour l'avifaune. Réservoir majeur pour les oiseaux migrateurs et nicheurs, il abrite des espèces remarquables comme la grue cendrée, le bruant ortolan ou encore le combattant varié : pas moins de de 200 espèces d'oiseaux y ont été recensées, dont plusieurs inscrites à l'Annexe I de la Directive « Oiseaux ».
Le projet éolien, situé à seulement 600 mètres de la ZNIEFF du Lac, se trouvait directement sur les couloirs de migration et les zones d’alimentation de nombreuses espèces protégées. Le risque de mortalité par collision apparaissait particulièrement élevé pour bon nombre des oiseaux concernés.
Fort de ce constat alarmant, l'intervention volontaire a permis de démontrer méthodiquement l'inadéquation des mesures proposées par le promoteur :
le choix de la variante d'implantation n'évitait pas le site d'intérêt ornithologique mais s'en approchait au contraire dangereusement ;
Le gravillonnage des plateformes sous les éoliennes ne répondait pas au risque de collision des oiseaux en vol ;
Le bridage nocturne, conçu pour les chiroptères, ne protégeait aucunement les espèces d'oiseaux diurnes comme le milan noir ou le busard cendré, pourtant indiscutablement menacées.
Une contre-étude naturaliste, versée aux débats par les intervenants, a permis d'établir avec précision la fréquentation intensive du site par les espèces protégées et de quantifier le risque résiduel de mortalité.
Une décision de principe sur les limites des pouvoirs de “rattrapage” du juge
Par son arrêt du 12 novembre 2025, la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé le refus préfectoral en formulant un rappel important sur les limites du pouvoir de prescription de l'administration.
La préfecture, en principe, doit s’efforcer de favoriser la délivrance de l’autorisation environnementale lorsqu’elle est possible moyennant l’édiction de prescriptions supplémentaires sans remettre en cause l’équilibre du projet de façon trop importante. Il en va de même du juge administratif qui, normalement, doit annuler les autorisations uniquement lorsque l’impact dénoncé est excessif et irrattrapable (CE, 6 novembre 2024, Société Gourvillette Énergie, n° 477317).
La limite à ce pouvoir est précisée par la jurisprudence (notamment CE, 31 mai 2021, Agir pour la Crau, n° 434542) : l'autorité administrative ne peut délivrer une autorisation que si les prescriptions qu'elle édicte permettent d'assurer la protection des intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement (à savoir la biodiversité, le patrimoine, les paysages, etc.).
Ce n'est que lorsque « même l'édiction de prescriptions additionnelles ne permet pas d'assurer la conformité de l'exploitation » que le préfet doit légalement refuser l'autorisation sollicitée.
En d'autres termes, le pouvoir de prescription n'est pas illimité : face à des impacts résiduels trop importants, l'administration ne peut pas “bricoler” des prescriptions supplémentaires dans l'espoir de rendre le projet acceptable.
Dans l'affaire du Lac de Cébron, la cour a considéré qu'« alors même que le site du projet n'est inclus dans aucune zone Natura 2000, ni dans une ZNIEFF ni dans une zone naturelle d'intérêt faunistique ou floristique », la proximité du Lac de Cébron créait un contexte si sensible que :
« les seules mesures avancées qui consistent principalement en phase de chantier en une adaptation calendaire des travaux et en phase d'exploitation à laisser vierge les plateformes (cailloux bruts), à mettre en place un suivi complet de l'activité de l'avifaune et de sa mortalité, et à programmer un protocole de bridage nocturne ainsi qu'à mettre en place, au titre des mesures de plus-value environnementale, un ilot boisé de sénescence, ne sont pas de nature, dans les circonstances de l'espèce, à réduire de façon significative le risque d'atteinte aux deux avifaunes précités. »
Plus important encore, la cour a écarté l'argument selon lequel le préfet aurait pu prescrire un système de détection automatique des oiseaux (SDR). Elle a jugé qu'« il ne résulte pas de l'instruction que des prescriptions complémentaires, telle que la mise en place d'un système de détection d'oiseau, pourraient permettre de réduire l'impact du projet au point qu'il apparaisse comme non significatif. »
Cette affaire permettra de rappeler combien le contentieux de l’environnement, qui est exigeant en termes de preuve, peut se trouver enrichi de façon déterminante par l’intervention des acteurs de l’environnement les plus concernés dans le débat judiciaire.